Délia
Je souhaitais te remettre cette rose, à toi, Délia, car elle te revenait. Il n’existait aucune fleur capable de t’égaler, mais aucune ne comportait autant d’épines. J’étais jeune et toi aussi et personne -du moins je le croyais- ne pouvait comprendre ce que je ressentais. Quelque chose qui ne se passait que lorsque je te voyais et que tu prenais plaisir à te moquer. Un sentiment chaud, fort… parfois glacial. Je te détestais. Tu avais des yeux noirs, des cheveux jais, longs, lisses et souples que tu retournais, en mâchant le bout parfois, sans raisons. Tu étais accompagnée de deux amies, des petits bourgeons, aurait-on pu dire. Tu étais ma voisine dans certains cours. Nous échangions beaucoup de propos moqueurs, propos que je pourrais considérer comme amers maintenant, mais ce n’est pas le cas. Je me souviens que c’était…comme une sorte de règlement que personne n’avait nommé et que tout le monde connaissait. La moquerie perpétuelle et bête des autres. Tout le monde en souffrait. Peu le reconnaissaient. Parfois certaines filles, entre elles. De temps à autre, tu essayais d’imposer ta fragile volonté face à celle des autres, mais tu rebroussais bien vite chemin. Comme tous ceux qui essayaient. Les moqueries fendaient la carapace que l’on se constituait, et personne n’avait envie d’y faire face. Pas même moi. J’étais l’une de ces personnes qui, comme protection, ne possédaient que l’arrogance et une prodigieuse faculté à proférer des brimades. Délia, tu me ressemblais, tout en étant mon opposée. Nous n’étions que des ennemis, jusqu’au jour où ta coquille s’est fendue. Un beau carnage de larmes, de tristesse, de peur, de ridicule et, par surcroît, de moquerie bien évidemment.
Tu étais seule, assise dans un coin de la cour alors qu’il s’agissait de la pause de dix heures, t’enfuyant quand l’une de tes amies faisait mine d’approcher. Tu étais moche. Le visage rouge et les yeux bouffis. Ton nez coulait peut-être, je ne m’en souviens plus, mais c’est ce qui arrive quand on pleure, non ? Tu étais une proie tellement difficile à atteindre malgré ta faiblesse. Cette vulnérabilité représentait notre cruauté. Si vous êtes au collège, vous devez le savoir… Les gens qui pleurent ne sont pas souvent attaqués par les autres quand ils sont si vulnérables.
La cloche avait sonné. Nous étions montés en cours. Tu étais assise à côté de moi. Tu étais toujours détruite. Les profs cherchent toujours à savoir ce qui se passe dans ces cas-là. Première question sur ton problème, regard noir et baissement de tête. Le professeur avait abandonné et était retourné à son cours. Je me souviens que je m’étais dit que tu étais belle, que ton caractère et beaucoup d’autres choses en toi me plaisaient énormément. Je ne savais pas si c’était de l’amour, mais qui le savait ? Et quelle forme avait-il ? Etait-ce cela ? Pourquoi pas ? J’ai alors décidé d’essayer.
Peu de temps après, une semaine ou deux plus tard, je t’ai demandé de sortir avec moi. Discrètement. Tout le monde pensait que je te détestais, et au fond, je pensais que c’était ton sentiment à mon égard. Pourquoi alors ai-je pris ce risque, de briser ma carapace ? Quoi qu’il en soit, tu as dit oui. Après, pendant environ deux semaines, nous sommes sortis ensemble. Classique. Puis, un jour tu as rompu, comme ça. J’étais vexé…et un peu triste aussi. Je me suis fait chambrer car je m’étais fait jeter. Je t’en ai voulu à cause de cela. Tu m’as entraîné dans un coin de la cour en me disant : « Je casse ». Tu as été très dure verbalement avec moi. Bien plus que ce que tu aurais dû. Tu étais froide et indifférente à ce que je pouvais penser. Ca n’a pas été facile à encaisser. Ensuite, la vie a repris. Cours ennuyeux qui s’enchaînent, moqueries, sales notes, disputes avec les parents, amourettes, passage du bac, longues études, grands amours, mariage, enfants, travail, vie…
Jusqu’à aujourd’hui. Je dors dans un fauteuil. J’ai bien vieilli. J’ai eu deux femmes, deux enfants. J’ai divorcé, mes enfants s’occupent de temps à autre de moi, plus par sens des responsabilités que par réel amour ou intérêt pour moi. J’ai bien vécu et ne suis pas à plaindre. Je rêve. Je suis dans un jardin magnifique. Il comporte des centaines de plantes se déployant en un arc de cercle vaste. Un bruit d’eau dont je ne connais pas la provenance. On dirait qu’il vient du ciel, coulant à travers les nuages. Au centre, il y a un rosier dont une fleur est rouge, ses épines pointues et douloureuses. Si c’est moi qui l’ai créée, je te l’offre, elle te ressemble tant, car - maintenant je le sais - ce fut toi mon premier amour. Elle te représente. Rêver de toi est mon plus grand bonheur.
Le vieil homme dans son fauteuil était heureux, et triste. Son cœur s’arrêta, son rêve continua, il tomba doucement de son fauteuil. La tête contre le sol, les cheveux blancs éparpillés. Peu de temps avant, une vieille dame avait déposé un bouquet de roses rouges devant sa porte.
Le 12 et 13/03/07
Je souhaitais te remettre cette rose, à toi, Délia, car elle te revenait. Il n’existait aucune fleur capable de t’égaler, mais aucune ne comportait autant d’épines. J’étais jeune et toi aussi et personne -du moins je le croyais- ne pouvait comprendre ce que je ressentais. Quelque chose qui ne se passait que lorsque je te voyais et que tu prenais plaisir à te moquer. Un sentiment chaud, fort… parfois glacial. Je te détestais. Tu avais des yeux noirs, des cheveux jais, longs, lisses et souples que tu retournais, en mâchant le bout parfois, sans raisons. Tu étais accompagnée de deux amies, des petits bourgeons, aurait-on pu dire. Tu étais ma voisine dans certains cours. Nous échangions beaucoup de propos moqueurs, propos que je pourrais considérer comme amers maintenant, mais ce n’est pas le cas. Je me souviens que c’était…comme une sorte de règlement que personne n’avait nommé et que tout le monde connaissait. La moquerie perpétuelle et bête des autres. Tout le monde en souffrait. Peu le reconnaissaient. Parfois certaines filles, entre elles. De temps à autre, tu essayais d’imposer ta fragile volonté face à celle des autres, mais tu rebroussais bien vite chemin. Comme tous ceux qui essayaient. Les moqueries fendaient la carapace que l’on se constituait, et personne n’avait envie d’y faire face. Pas même moi. J’étais l’une de ces personnes qui, comme protection, ne possédaient que l’arrogance et une prodigieuse faculté à proférer des brimades. Délia, tu me ressemblais, tout en étant mon opposée. Nous n’étions que des ennemis, jusqu’au jour où ta coquille s’est fendue. Un beau carnage de larmes, de tristesse, de peur, de ridicule et, par surcroît, de moquerie bien évidemment.
Tu étais seule, assise dans un coin de la cour alors qu’il s’agissait de la pause de dix heures, t’enfuyant quand l’une de tes amies faisait mine d’approcher. Tu étais moche. Le visage rouge et les yeux bouffis. Ton nez coulait peut-être, je ne m’en souviens plus, mais c’est ce qui arrive quand on pleure, non ? Tu étais une proie tellement difficile à atteindre malgré ta faiblesse. Cette vulnérabilité représentait notre cruauté. Si vous êtes au collège, vous devez le savoir… Les gens qui pleurent ne sont pas souvent attaqués par les autres quand ils sont si vulnérables.
La cloche avait sonné. Nous étions montés en cours. Tu étais assise à côté de moi. Tu étais toujours détruite. Les profs cherchent toujours à savoir ce qui se passe dans ces cas-là. Première question sur ton problème, regard noir et baissement de tête. Le professeur avait abandonné et était retourné à son cours. Je me souviens que je m’étais dit que tu étais belle, que ton caractère et beaucoup d’autres choses en toi me plaisaient énormément. Je ne savais pas si c’était de l’amour, mais qui le savait ? Et quelle forme avait-il ? Etait-ce cela ? Pourquoi pas ? J’ai alors décidé d’essayer.
Peu de temps après, une semaine ou deux plus tard, je t’ai demandé de sortir avec moi. Discrètement. Tout le monde pensait que je te détestais, et au fond, je pensais que c’était ton sentiment à mon égard. Pourquoi alors ai-je pris ce risque, de briser ma carapace ? Quoi qu’il en soit, tu as dit oui. Après, pendant environ deux semaines, nous sommes sortis ensemble. Classique. Puis, un jour tu as rompu, comme ça. J’étais vexé…et un peu triste aussi. Je me suis fait chambrer car je m’étais fait jeter. Je t’en ai voulu à cause de cela. Tu m’as entraîné dans un coin de la cour en me disant : « Je casse ». Tu as été très dure verbalement avec moi. Bien plus que ce que tu aurais dû. Tu étais froide et indifférente à ce que je pouvais penser. Ca n’a pas été facile à encaisser. Ensuite, la vie a repris. Cours ennuyeux qui s’enchaînent, moqueries, sales notes, disputes avec les parents, amourettes, passage du bac, longues études, grands amours, mariage, enfants, travail, vie…
Jusqu’à aujourd’hui. Je dors dans un fauteuil. J’ai bien vieilli. J’ai eu deux femmes, deux enfants. J’ai divorcé, mes enfants s’occupent de temps à autre de moi, plus par sens des responsabilités que par réel amour ou intérêt pour moi. J’ai bien vécu et ne suis pas à plaindre. Je rêve. Je suis dans un jardin magnifique. Il comporte des centaines de plantes se déployant en un arc de cercle vaste. Un bruit d’eau dont je ne connais pas la provenance. On dirait qu’il vient du ciel, coulant à travers les nuages. Au centre, il y a un rosier dont une fleur est rouge, ses épines pointues et douloureuses. Si c’est moi qui l’ai créée, je te l’offre, elle te ressemble tant, car - maintenant je le sais - ce fut toi mon premier amour. Elle te représente. Rêver de toi est mon plus grand bonheur.
Le vieil homme dans son fauteuil était heureux, et triste. Son cœur s’arrêta, son rêve continua, il tomba doucement de son fauteuil. La tête contre le sol, les cheveux blancs éparpillés. Peu de temps avant, une vieille dame avait déposé un bouquet de roses rouges devant sa porte.
Le 12 et 13/03/07
3 commentaires:
j adore
trop génial
Ton texte, c'est pas la première fois que je le lis, mais à chaque fois il me donne envie de pleurer tellement il est beau...
Enregistrer un commentaire